Chroniques,  Rétrospective

Avant Nausicäa, il y eut la Princesse des Étoiles.

Quand des biographies, des documentaires ou des articles sont réalisées sur la carrière de Hayao Miyazaki, on y évoque souvent une brebis galeuse dont le cofondateur des studios Ghibli aurait été la victime, d’où sa longue méfiance à l’égard de la diffusion de ces films dans les pays occidentaux. Ce crime, c’est celui de Warriors of the Wind, remontage américain de son second long-métrage, Nausicaä de la Vallée du Vent, que l’on a connu en France tour à tour sous le nom Le vaisseau fantôme, ou plus couramment La Princesse des Étoiles.

Si il s’agit de la première véritable exploitation aux États-Unis l’œuvre du maître, et la seconde en France après Vidocq contre Cagliostro, remontage du long-métrage Le Château de Cagliostro, sur lequel on aura sans doute l’occasion de revenir un autre jour, elle constitue également un point de passage obligé dès il est question de la diffusion de ses films à l’international. Ainsi, ces dernières décennies, Warriors of the Wind a fait l’objet de critiques souvent virulentes de spécialistes, de vidéastes et du grand public, à qui il est reproché à ce remontage de n’être qu’une construction marchande réalisé par des costards cravates américains sans scrupule d’une œuvre qui n’en avait pas besoin, tout en occultant tout ce que cette version implique par rapport à l’histoire de l’exportation des films asiatiques en Occident et ces pratiques qui étaient monnaies courantes à ce moment-là. Pour appuyer ce constat, il est souvent évoqué les changements de noms de personnages, les coupes réalisés sur le long métrage, les changements de musiques, les visuels promotionnels très éloignées de l’esprit de l’œuvre et les modifications de dialogues qui supprime l’aspect écologique du film au profit d’une trame entièrement recentré sur l’action, ce qui est dans les faits plus ou moins vrai quand on regarde de plus près cette fameuse version remontée. Enfin, ces différents avis s’accordent sur le fait que Hayao Miyazaki a condamné ce travail au point d’imposer des clauses de non-modifications de ses films, et de bloquer l’exportation internationale de ces œuvres pendant plus d’une décennie, ce second point étant là encore exagéré, dans la mesure où l’exportation des films de Miyazaki ne s’étant jamais véritablement interrompu, en témoigne les sorties VHS américaines de Steamline Pictures du Château dans le Ciel et de Totoro en VHS au début des années 1990.

Ainsi, face à ce discours, et après avoir trouvé différents documents d’époque et visionné le travail de vidéastes anglophones bien renseignés, je vais pouvoir vous détailler ces différents aspects passés sous le radar concernant cette version. Dans ce qui va suivre, loin de défendre les agissements éthiquement contestables de Manson International, je vous propose une nouvelle grille de lecture pour comprendre ce remontage et ce premier contact de l’œuvre de Miyazaki avec le reste du monde, à travers l’histoire d’un distributeur américain qui, tout en cherchant à engranger le plus de revenus possible sur cette œuvre quitte à la dénaturer, a parfois tergiversé, en se demandant si ce qu’il distribuait n’était pas une pépite cachée dont il ne mesurait pas encore toute la portée. Ce sera également l’occasion de questionner le résultat final de ce montage, à la fois en version originale anglaise et dans sa version doublée en français, pour tenter d’émettre des explications face à ces modifications, tout en rétablissant la vérité face à certaines idées reçues erronés que l’on peut encore entendre par-ci par-là. Alors, que se cache-t-il réellement derrière La Princesse des Étoiles ? Voyons cela de suite !

Manson International et lhistoire de Warriors of the Wind.

Extrait du Hollywood Reporter du 15 décembre 1983, qui rapporte l’achat du film par Manson International.

Et pour répondre à cette question, remontons aux origines de cette version, en évoquant ses origines par rapport à l’œuvre première dont elle issu, Nausicäa de la Vallée du Vent. En effet, le long-métrage est issue d’un manga dessiné par Hayao Miyazaki lui-même, et qui fut publié dans le magazine Animage à partir de 1982. Ce magazine, pionnier en son temps en ayant été le premier à traiter des productions animée au pays du soleil levant, avait comme rédacteur Toshio Suzuki, qui avait approché le réalisateur en 1980 suite à l’échec public, mais succès critique, de son premier film, Le Château de Cagliostro, produit auparavant chez Tokyo Movie Shinsha. Une fois ce nouveau manga publiée et son succès confirmé, la question d’en faire une adaptation animée se posa très vite, et avec l’aide du patron de Tokuma Shoten, Yasuyoshi Tokuma, ce projet devint assez vite réalité, en confiant la réalisation à Miyazaki et la production à son ami et confrère Isao Takahata. De par cette situation et sa notoriété au Japon qui reste encore à faire, on peut comprendre que Miyazaki n’a pas pu avoir la main sur les droits internationaux de ces films. Sans doute a-t-il fait confiance bon gré mal gré à Tokuma, qui avait confié les droits internationaux du film à une société japonaise, World Film Corporation. Celle-ci revendit, avant même la sortie du film au Japon, en décembre 1983, à Manson International ceux-ci pour la coquette somme de 5 millions de dollars. Ainsi, ce sont eux qui furent ainsi chargée, à partir du 17 août 1984 qui marque le transfert des droits entre les deux sociétés, de la distribution du long-métrage dans le reste du monde, à l’exception de la Corée. Ainsi, si Miyazaki fut informé de la vente de son œuvre à l’étranger, il n’apprendra l’existence du remontage de Manson que l’année suivante, à l’occasion d’un article dans l’édition du soir de l’Asahi shinbun du 17 septembre 1985, peu après la sortie au cinéma aux États-Unis, où l’on raconte qu’il serait devenu fou de rage en découvrant le massacre de son œuvre, qui lui avait été caché. Quand à Toshio Suzuki, ce dernier l’aurait appris par le biais du canadien Toren Smith, qui traduira ultérieurement pour Viz Media le manga en anglais, et n’avait apparemment pas osé réagir pour ne pas se fermer le marché américain, dont Manson détenait en partie les clés…

Fondée en 1955 par Edmund Goldman et Sam Nathanson, Manson International est une société de production de films, et plus particulièrement d’imports-exports de métrages cinématographiques. Société indépendante au milieu des géants hollywoodiens, l’entreprise s’était donc faite la spécialité, en plus de produire ponctuellement des films indépendants, de distribuer des films étrangers à destination du public américain. Si la société ne s’est pas spécialement intéressé au cinéma asiatique, et notamment japonais, un de ses cofondateurs, Edmund Goldman, entretenaient cependant des liens assez étroits avec des personnalités de l’industrie cinématographique japonaise, ce qui l’a amené notamment à travailler en 1955 à la négociation des droits du tout premier film Godzilla aux États-Unis. Il en va de même pour son fils Michaël Goldman qui a repris l’entreprise familiale en 1975, qui avait vécu plusieurs années à Tokyo, et qui avait gardé de là-bas de nombreux contacts avec les producteurs japonais, avec qui il a pu continuer à interagir en tant que fondateur de l’American Film Marketing Association (devenu aujourd’hui the Independent Film & Television Alliance) qui organise chaque année depuis 1981, l’American Film Market, point de passage intéressant pour l’ensemble des producteurs japonais qui souhaiterait s’essayer à exporter leurs films sur le territoire américain. Il n’est donc pas étonnant que l’entreprise ait cherché à acheter un film d’animation japonais aussi prometteur et ambitieux que Nausicäa. Mais comment le vendre de la meilleure manière possible dans le monde, sachant qu’il est tout à fait possible que celui-ci, aussi populaire qu’il soit au Japon, ne soit vu que comme une curiosité exotique sans intérêt par les distributeurs qui présupposaient la vision du spectateur ? C’est sans doute face à cette question que les responsables de Manson ne surent pas vraiment comment faire, et décidèrent de produire un remontage pour l’international, avant d’ensuite hésiter sur la manière de vendre le film.

Difficile de donner tort aux critiques sur le montage, au vu de l’affiche américaine montrant des personnages n’apparaissant jamais dans le film.

En effet, sur Nausicäa, l’attitude qu’eurent Michaël et son équipe fut particulièrement ambivalente, et cela se remarque notamment dans la manière dont le film a été traité aux États-Unis, et celle dont il le fut dans le reste des autres pays occidentaux. En effet, pour le marché américain, en accord avec New World Pictures, société qui avait obtenu les droits cinémas et sur support vidéo de ce film auprès de Manson en avril 1985, ceux-ci effectuèrent, en plus des changements de noms et des coupes déjà effectuées, un recalibrage marketing pour répondre aux remarques de leur partenaire commercial, qui avait déjà tenté de proposer en 1982 Galaxy Express 999 au cinéma, avec les mêmes modifications qui ont été faites sur Nausicäa, notre Albator national ayant été renommé dans cette version Warlock, tandis que le long-métrage fut ramené à une durée de 90 min, suppriment ainsi une demi-heure de film. Dans cette vaine tentative de vendre différemment le film, une affiche conçu par Rudy Obrero, n’entretenant qu’un très vague rapport avec le dit long-métrage, fut conçue spécialement pour l’occasion, ainsi qu’un logo et des bandes annonces spécifiques, mettant en avant l’aspect action-aventure du film, au détriment des aspects plus poétiques et écologiques de ce dernier. Malgré ces modifications, les quelques projections cinémas en Floride à partir du 14 juin 1985 ne rencontrèrent pas un grand succès, ce qui fit que le film ne connu une exposition nationale, que par le biais, d’une part, de la cassette publiée par New World Video, qui comprenait en couverture l’affiche très fantaisiste mentionnée plus tôt, et de l’autre les diffusions à la télévision sur la chaîne câblée HBO qui diffusa le film de 1986 à 1988.

Cependant, bien avant ce recalibrage spécifique au marché US, mais juste après la réalisation du doublage anglais chez Showman Inc. en début d’année 1984 avec les coupes et les changements de noms qui avaient été décidé préalablement avant la moindre diffusion à l’étranger, Manson International fit le choix assez curieux et étonnant pour une entreprise ayant décidé de massacrer l’œuvre au préalable, en faisant diffuser le long-métrage altérée à partir d’octobre 1984 dans différents festivals européens tout en le proposant dans le même temps à des distributeurs, à commencer durant le marché international du film et du documentaire (MIFED) de Milan. Certes, l’œuvre demeure proposée dans sa version anglaise coupée, mais Manson International ne chercha pas, contrairement à ce qui a pu être fait dans une moindre mesure aux US, à cacher la provenance japonaise du long-métrage. Un logo, ainsi qu’une autre affiche, bien moins fantaisiste furent ainsi réalisée, avec Nausicäa au premier plan, rappelant certaines affiches japonaises réalisées sur le long-métrage par Yoshiyuki Takani, et celle-ci, contrairement à celle produite par New World, mentionne bien les crédits de l’équipe japonaise, même si c’est de manière assez approximatif. On est clairement plus proche de l’esprit du long-métrage que ce qui avait été proposé dans le pays de l’oncle Sam. Dans le dossier de presse, ainsi que dans la bande-annonce destinée à l’export pour l’étranger, Manson souligne également davantage la dimension écologique du long-métrage, aspect complètement mis de côté lors de la diffusion aux États-Unis, ce qui témoigne d’une approche du film davantage ciblée pour un public plus connaisseur. De ce fait, il ne fut pas étonnant que le film fut particulièrement remarqué lors de ces projections en Europe, notamment à Paris, lors du Festival international de Paris du film fantastique et de science-fiction en 1985, où il fut diffusée au Grand Rex dans sa version anglaise. Le magazine l’Écran Fantastique, fondée par Alain Schlockoff qui fut à l’origine du festival, mentionnera le film en ces termes élogieux : « Un des plus beaux dessins animés d’héroïc-fantasy à ce jour ! », qui témoigne de l’intérêt que suscitait cet objet d’origine inconnu en provenance du Japon, américanisé ou non. Par la suite, le film fut vendu, probablement après la projection le 8 et le 10 mars 1985 à l’American Film Market, avec un certain succès, le montage étant proposé au Royaume-Uni par différents éditeurs VHS et diffusé plusieurs fois à la télévision, tandis qu’en Allemagne de l’Ouest et en Espagne, le film sorti directement en vidéo.

Affiche réalisée par Manson International pour l’exportation de l’œuvre. Comme en témoigne la signature, il a été réalisé par un certain Ezra Tucker.

Ce fut sans doute à cette occasion, on peut grandement le supposer, que le long-métrage fut remarqué par Victor Bialek ou un de ses associés, entrepreneur et patron de VIP, un éditeur de cassettes VHS, qui en acheta les droits pour la France, en faisant doubler le long-métrage pour cette exploitation vidéo, qui se fit à travers plusieurs éditions. En ce qui concerne ces cassettes VHS, on pourra remarquer que l’exploitation semble avoir débuté à partir de 1987, comme le témoigne la première édition édité par VIP intitulé Le Vaisseau Fantôme. Ce n’est que lors de la réédition durant l’été 1991, toujours chez VIP mais dans leur label Family Collection, que le titre La Princesse des Étoiles est devenue le titre officiel du long-métrage en France, et qu’il a été par ailleurs ajouté très maladroitement à l’intérieur du long-métrage, en lieu et place du titre américain. C’est à ce moment-là qu’un partenariat avec Initial Distribution Vidéo semble avoir été établi pour ce titre, puisque ce sont eux qui semble avoir produit cette réédition si l’on se fie à l’étiquette sur la cassette. Quoiqu’il en soit, la diffusion de ces deux éditions fut, semble-t-il, assez confidentielle et ne rencontra pas un énorme succès, bien que certains journalistes de la revue Animeland, comme Yvan West Laurence, en eurent connaissance, comme en témoigne le numéro un du magazine où le sujet est abordé lors de l’interview de Jean Giraud (Moëbius). Au delà de ces deux éditions, on peut noter l’existence d’une ultime réédition en 1994, chez le label Blue Kid’s liée également à Initial, avant que l’exploitation du montage américain et de sa première VF ne s’arrête, le délai d’exploitation de Manson étant arrivée à échéance, et les droits retournés chez Tokuma. Quelques éditions DVD illégaux circuleront au début des années 2000 en France, dont une éditée par Lazer Films (en réalité Intégral Vidéo, une société liée à Initial) avant que la sortie par Buena Vista des DVD de la version redoublée en 2006 ne vienne mettre définitivement fin à la circulation de La Princesse des Etoiles, au profil de la version intégrale, en version originale et dans une nouvelle version française, destinée à rester à la postérité pour le bien des fans de Miyazaki et du grand public. Cela étant, que faut-il penser de La Princesse des Étoiles à l’heure actuelle ?

Warriors of the Wind, un massacre de A à Z ? Pas tout à fait !

Juger Warriors of the Wind aujourd’hui est sans doute un exercice complexe, notamment à l’aube de ce qu’il représente, à l’heure où tous les long-métrages de Miyazaki sont proposés facilement partout dans le monde. En effet, sans doute que les quelques rares qui auront connu ces versions cassettes auront sans doute une nostalgie pour ce que constitue l’un de leurs premiers contacts avec l’œuvre de Miyazaki, ce qui est parfaitement compréhensible à défaut d’être raisonnable. Cependant, une chose paraît cependant assez claire objectivement, à savoir que visionner ce montage n’a absolument plus aucun intérêt pour le spectateur moyen, à l’heure où Nausicäa est sorti dans une version infiniment plus respectueuse, chez Disney/Buena Vista puis Wild Side, et que la nouvelle version française réalisé pour la sortie cinéma et proposée sur ces éditions et en SVOD est de très bonne facture. De ce fait, cette réputation de brebis galeuse, d’autant plus que d’autres acteurs internationaux respecteront davantage à l’exportation le titre, ont fait de Warriors of the Wind un objet marginal, honteux, une trace d’une époque peu heureuse où l’on traitait l’animation japonaise, et plus globalement le cinéma par dessus la jambe, et qui n’a donc plus lieu d’être aujourd’hui, à part pour quelques types bizarres et autres nerds un peu curieux. Cependant, au delà de son histoire, qu’est-ce qui fait de Warriors of the Wind l’objet de tant de polémiques ? Et derrière ces polémiques, n’y a-t-il pas quelques nuances qu’il serait bon d’apporter ?

Titre du film sur la VHS Family Collection, qui apparaît en lieu et place du titre américain.

Si il y a un élément qui revient systématiquement quand on aborde Warriors of the Wind par rapport à Nausicäa, ce sont les changements de noms des personnages. La princesse Nausicaä étant rebaptisée, en version anglaise comme française, Zandra (parfois orthographié par erreur Xandra). Asbel est également rebaptisé Milo (Martel en VF), Yupa devient Yappa (en VF uniquement), Kushana devient la princesse Selena (Célina en VF), Mito devient Axel, etc… . Si cette décision semble avoir été prise par Manson au moment de la production du doublage anglais, avant même toute distribution à l’étranger, cela nous permet d’envisager que ces changements ont été réalisés avant tout dans l’optique de l’exportation du programme à l’international, afin de ne pas heurter le public occidental avec des noms orientaux, même si on ne peut pas dire que la VO soit particulièrement riche sur cet aspect. Dans tous les cas, si aujourd’hui, cette idée préconçu peut paraître ridicule, étant donné que ça ne nous dérange pas outre mesure d’entendre des noms à consonance étrangère, en 1985, à l’époque où l’animation japonaise est un objet plus ou moins inconnu des occidentaux, et encore moins des américains, cela ne paraissait pas être une évidence de préserver les noms originaux dans un doublage, en témoigne les tentatives de localisations des noms sur nos belles versions françaises à la même période. De ce fait, il n’est pas étonnant que Manson ait voulu en faire de même avec Warriors of the Wind, en donnant des consonances plus proches aux noms des personnages, ce qui, dans un contexte de film de science-fiction, leur paraissait d’autant plus logique pour plaire au public. On pourra noter néanmoins sur ces changements de noms le cas particulier de Nausicäa, nom d’origine grecque, mais sans doute juger difficile à prononcer, ce qui a sans doute entraîné son remplacement par Zandra, diminutif d’Alexandra, sans doute plus facile à vendre auprès du public.

En plus de ce changement déroutant, Manson International a également remonté le long-métrage à une durée de 90min, afin de satisfaire le public familial visée par cette production si on en croit le matériel promotionnel. Dans les faits, on peut envisager, de manière plus prosaïque, que ces coupes ont été réalisée avant tout dans l’optique de limiter la durée du film afin de le rendre plus vendeur aux différents éditeurs qui souhaiterait l’exploiter, que ce soit dans le cadre d’une diffusion cinéma comme sur cassette. En effet, certains distributeurs cinémas de l’époque avaient comme pratique de réduire la durée du long-métrage en dessous des 90 minutes afin de permettre aux exploitants de salles de faire davantage d’entrées dans la même journée. Cela concernait en particulier les films sans grande réputation, que ce soit des longs-métrages asiatiques ou simplement non-américains (coucou les films de Sergio Leone). A ce sujet, on peut citer chez nous notamment le cas du film Les Évadés de l’Espace, film de science-fiction japonais de 1978 de Kinji Fukasaku, qui a été diffusé dans un montage légèrement écourté lors de sa première diffusion au cinéma pour ces motifs. D’autre part, dans le cadre d’une diffusion sur cassette, une durée plus courte impliquait également des cassettes moins longues, ce qui permettait de limiter leur coût de production. Réaliser un montage écourté pour l’exportation avait donc doublement un intérêt pour Manson, afin de séduire le plus de potentiels distributeurs dans le monde. Pour ce qui est des coupes en elle-même, sans détailler plus que ça, elles sont de différentes natures, de coupes brutes à des réductions de durées de plans, la plupart ayant été faites non pas tant pour supprimer l’aspect écologique du film, mais davantage pour supprimer des éléments annexes ou secondaires de l’intrigue dès que cela était possible. Cela fait que les scènes contemplatives et certains dialogues jugés annexes ont été les principales victimes des coupes, on peut citer notamment certaines discussions avec les habitants de la Vallée du Vent en début de film, ou encore la scène où Nausicäa montre à Yupa son jardin secret, qui est entièrement coupé dans le remontage de Manson.

Extrait du générique de fin du remontage, qui inclue la plupart des noms de l’équipe japonaise.

Cependant, malgré ses deux éléments notables qui caractérise ce remontage, ce dernier se montre relativement respectueux sur pas mal d’autres aspects. En effet, la bande-son originale de Joe Hisaishi est bel et bien conservée sur l’ensemble du film, même si elle est quelque peu maltraité par l’ensemble des coupes qui ont pu être réalisées, avec l’ajout ponctuel de quelques effets sonores supplémentaires à des endroits très précis, et l’ajout d’une musique issue sans doute d’une banque de données de Manson en tout début du film. Ce choix de préserver la grande majorité de la bande-son est intéressant, dans la mesure où à la même époque, des distributeurs comme Saban Entertainment, Harmony Gold ou World Events Productions n’hésitaient pas à changer l’ensemble des musiques sur les séries animées qu’ils distribuaient pour toucher des royalties supplémentaires, et témoigne du fait que Manson a bien compris la force de cette partition dans le long-métrage : Nausicäa sans les musiques de Joe Hisaishi, ce n’est définitivement pas le même film et cela n’aurait pas valu la peine d’être diffusé. Autre surprise, qui choquera les oreilles de certains dans la VA et la VF de Warriors of the Wind, on peut entendre par moment les voix japonaises, notamment sur les cris et certaines réactions des personnages, ce qui témoignage de l’utilisation d’une piste internationale avec les voix, les musiques et les bruitages séparés fournis par les japonais, que Manson n’aura modifié que très partiellement, là où il le jugeait nécessaire, à savoir uniquement pour les génériques de débuts et fins spécifiques à ce remontage où d’autres musiques de Joe Hisaishi ont été utilisées, sans compter les modifications cités plus tôt. Enfin, autre bonne nouvelle, au delà des modifications des textes faites pour cacher les coupes qui ont été faites, l’histoire du film reste globalement assez fidèle à ce qui est raconté dans la version japonaise. Il semble évident que le consultant chargé de l’adaptation de chez Showman Inc., David Schmoeller, a pu avoir accès à un script anglais fourni par l’ayant droit ou réalisé par un traducteur japonais relativement qualifié, ce qui a dû particulièrement aidé à la fois dans l’adaptation en elle-même comme dans les modifications effectuées qui n’ont pas été aussi hasardeuse que ça aurait pu l’être d’ordinaire.

Enfin, en ce qui concerne notre version française, celle-ci est globalement assez réussie. On retrouve l’équipe qui a travaillée sur la version française de la série animée Cat’s Eye, et le résultat est plutôt honnête par rapport au long-métrage, même altéré, malgré quelques restrictions de budget qui se font sentir, doublage VHS oblige, si bien que les comédiens ne sont que neuf pour interpréter l’ensemble des personnages. Marie-Laure Dougnac colle assez bien vocalement à Zandra, même si sa voix haut perché, proche de celle qu’elle utilisait à la même époque sur des voix d’enfants, surprendra sans doute ceux qui sont habitués à la voix d’Adeline Chetail dans la nouvelle version française qui a un timbre bien plus naturel. Le reste du casting se débrouille plutôt bien également, que ce soit Frédéric Girard qui dirige ce doublage, et qui interprète le seigneur Yappa assez correctement, Annabelle Roux, Dany Tayarda qui double brillamment la reine Célina, Jean-Louis Faure qui interprète avec malice « Son Excellence » aka Kurotawa, sans oublier Pierre Laurent qui offre une performance honnête sur Martel, bien que sa voix soit un peu trop vielle sur le personnage. Le seul point noir de ce premier doublage sera sans doute Raoul Delfosse, sur le roi Zeal, qui en fait des tonnes sur son personnage, en jouant de manière trop caricaturale le côté vieillard et malade, nous faisant sortir du film lors de son apparition, ce qui est bien dommage. En ce qui concerne l’adaptation des textes, le texte de la version anglaise, déjà relativement fidèle à la VO, est plutôt respecté ici, même si on sent que les auteurs français ont voulu mettre leur grain de sel en modifiant certains noms de la VA, sans doute en connaissance de cause, ce qui n’est pas véritablement un mal.

Conclusion

Un extrait du numéro 52 de L’Écran Fantastique, qui évoque la diffusion du film en festival, et les retours positifs.

Tout cela étant dit, doit-on laisser de côté La Princesse des Étoiles, et célébrer le doublage en 2006 de Nausicäa de la Vallée du Vent par Buena Vista International, et ré-exploité par Wild Bunch, qui se veut respectueux de l’intention d’origine de l’auteur ? Oui, indéniablement, tant non seulement celui-ci est de très grande qualité et retranscrit à la lettre le travail de Miyazaki en l’accompagnant de la meilleure des manières. A ce sujet, sans doute que le maître a eu toutes les bonnes raisons à l’époque, malgré certaines bonnes intentions notable de Manson pour le marché international, de crier à la trahison de son travail et à ce que plus jamais ces films ne subissent ce sort peu enviable. Cependant, quand bien même ses défauts, et son aspect peu éthique, Warriors of the Wind ne devrait pas être laissé sur le bord de la route, car cette adaptation de l’œuvre fait partie de l’histoire de la diffusion des films de Miyazaki dans le monde, et est le témoignage d’une époque où ceux qui travaillaient sur leur exportation dans le monde ne savait pas forcément sur quel pied danser quand il s’agissait de traiter ces produits à la hauteur de ce qu’ils étaient. Warriors of the Wind, et de fait La Princesse des Étoiles, sont, dans le fond, des paradoxes : A la fois des produits bas de gamme diffusés sur cassettes VHS pour attirer les enfants et les parents qui veulent un dessin-animé d’aventure pas trop long et pas trop cher, mais aussi des versions remontées qui ne cherche pas vraiment, une fois ceux-ci lancés, à mentir sur leurs origines, ni à trahir complètement le propos de la version originale. Au contraire, ils arrivent à en conserver une très grande partie des forces, et malgré tous les choix aberrants qui ont pu être faits, le visionnage ne s’en trouve pas gâché, pour peu qu’on ait pas eu connaissance de ce qu’était l’œuvre au départ. Les retours qu’a pu avoir le film à l’époque dans les festivals en constitue sans doute le meilleur exemple, comme celui du film fantastique au Grand Rex dont nous avons parlé auparavant, où le film obtenu, malgré son remontage, la 3ème place du prix du public, ainsi qu’un prix spécial de la part du jury, montrant que derrière Warriors of the Wind, il y avait toujours ce chef d’œuvre qu’était Nausicäa qui avait su conquérir le cœur d’un public cinéphile en dépit, ou peut-être, grâce, au travail de Manson International.

Pour cela, La Princesse des Étoiles, à défaut de mériter qu’on s’en souvienne, mérite d’être accessible, aux chercheurs, aux historiens, aux curieux, et d’être conservé précieusement, et je souhaite sincèrement pouvoir documenter davantage sa diffusion et le doublage réalisé en France, si un jour, de nouveaux documents accessibles me le permettent. Car Warriors of the Wind fut indéniablement une première étape chaotique vers la reconnaissance du talent de Hayao Miyazaki à l’international, que des entreprises comme Streamline, Miramax/Disney et GKids aux États-Unis, ainsi que U-Core, Studiocanal, Buena Vista et Wild Bunch en France, auront su développer et porter les décennies suivantes, avec un meilleur respect du travail du réalisateur, tout en donnant à ces films, comme le voulait sans doute très maladroitement Manson International, la portée qu’ils méritaient…

Un commentaire

  • Elsental

    Si j’ai grandi avec Hayao Miyazaki. Je n’ai jamais vraiment cherché jusqu’à présent à me renseigner plus que ça sur les histoires en dehors de ses films. Content d’apprendre ici, et pas autre part, les dessous de l’exporation de Nausicäa.
    Né en 1999, je n’ai évidemment connu que la version de 2006. Il m’est difficile d’imaginer le film sans la scène du jardin. Cela me donnerait presque envie de voir cette ancienne version…

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