Ailleurs dans le monde,  Rétrospective

Ghibli et leurs films en Italie, une histoire d’amour contrariée ? (1987-2005)

Revenons en ce premier jour de l’an de grâce 2024. Tandis qu’un peu plus d’un million de français avaient vu au cinéma, depuis le novembre précédent, le dernier long-métrage d’Hayao Miyazaki, Le Garçon et Le Héron, et avaient découvert pour certains le catastrophique doublage français du dit métrage, en ce premier jour du mois de janvier, c’est au tour de nos amis italiens de pouvoir goûter au film dans leurs salles obscures. Et pour la première fois depuis très longtemps, ils reçurent assez positivement pour la grande majorité d’entre eux le doublage en langue italienne qui avait été réalisé pour ce nouveau film du studio Ghibli. Pas de critiques acerbes sur les sites internets et les forums, pas de posts sur Facebook ou X/Twitter pour critiquer l’adaptation, le jeu des comédiens, ça y est, c’en était fini, les italiens ne criaient plus, car ils pouvaient enfin vivre, dans un doublage qui manifestement leur convenait, l’une des aventures pensés par celui dont on peut dire sans le faire rougir, de l’autre bout du monde où il se trouve, qu’il est l’un des plus grands poètes du cinéma d’animation, voire du cinéma tout court.

Mais si je vous parle de tout cela aujourd’hui, c’est parce que si dans nos belles contrées francophones, nous avons pu profiter, à l’exception d’une sombre histoire de Garçon et de Héron, d’excellents doublages sur ces films, grâce à des distributeurs comme Ucore, Le Studio Canal+, sans oublier particulièrement Buena Vista International aka Disney, on ne peut pas vraiment dire que, de leurs côtés, nos voisins transalpins eurent la même chance que nous, c’est le moins que l’on puisse dire. Entres des adaptations très libres par rapport à la version originale, des doublages plus ou moins américanisés et différentes étrangetés en terme de dialogues et de direction artistique, autant dire que le parcours des films Ghibli sur cette grande péninsule n’aura pas été de tout repos, et ne se sera pas fait sans quelques crispations de plus en plus présentes au fil des années et des décennies traversés venant d’amoureux d’animation japonaise, voire même du grand public dans les dernières années. Paradoxal pour l’un des pays qui a le plus inspiré Hayao Miyazaki dans ses longs-métrages. Des films comme Kiki La Petite Sorcière ou Le Vent se Lève témoignant, si il était nécessaire, que l’Italie a une grande place dans sa filmographie, voire même une place particulière si l’on compte également la série animée Sherlock Holmes coproduite entre le Japon et l’Italie, où il réalisa quelques épisodes pour le compte de la Tokyo Movie, mais aussi de la RAI, le service public italien de télévision, et Rever, la société fondé par les frères Pagot, auteurs de Caliméro, dont le fils, Marco, donna son nom au cochon aviateur le plus célèbre de l’animation japonaise, Porco Rosso.

Alors, dans ce cas, que diable a-t-il pu se passer pour que le public italien ait tant de problème à pouvoir vivre les films du studio dans de bonnes conditions ? Quels sont les particularités qui ont fait que l’Italie s’est retrouvé dans une situation parfaitement inverse de la nôtre, avec des doublages décriés, à l’exception notable du dernier en date ? Est-ce vraiment le cas de tous les doublages qui ont été faits ? A l’occasion de la ressortie 4K de Princesse Mononoké chez nous, et de la ressortie prochaine, en Italie, du Tombeau des Lucioles, dans un troisième doublage (oui, vous avez bien lu), l’heure est venue pour votre serviteur de mener l’enquête sur cette affaire dans un dossier en deux parties, pour peut-être y déceler, qui sait, si certaines erreurs qu’ont faites les italiens sont les mêmes qu’a pu commettre Wild Bunch chez nous, avec ce maudit héron, avec plusieurs années ou décennies d’avance.

L’étonnant 1er doublage de Nausicäa…

L’édition du 6 janvier 1987 du journal La Stampa, mentionne la diffusion du film sur les antennes de la RAI.

Pourtant, croyez-le ou non, l’histoire de Ghibli en Italie, toujours entre gros guillemets comme toujours quand on parle de Nausicäa, semblait pourtant avoir assez bien débuté. En effet, contrairement au reste du monde, à l’exception de la Corée du Sud et du Japon, l’Italie fut le seul pays européen à avoir proposé, le 6 janvier 1987, Nausicäa de la Vallée du Vent dans sa version intégrale, et pas n’importe où, car le film fut directement diffusée à la télévision, sur le réseau national de la RAI. Pas de Zandra et autres donc, les petits et grands enfants italiens purent ainsi profiter chez eux, devant leurs postes de télévision, à 15h30, durant le jour férié de l’épiphanie, dans la seconde partie de l’émission bien nommé Viva la Befana, ce qui fut appelé « Nausica nella valle del vento » (Nausicäa dans la vallée du vent). Par la suite, pendant plusieurs années, les antennes de la RAI rediffuseront le long-métrage, parfois découpé en quatre épisodes de 29 min, permettant à plus de spectateurs de découvrir ce film, et surtout de l’enregistrer, permettant ainsi à ce doublage étonnant d’être préservé pour le grand public, en étant diffusé sous le manteau jusqu’à aujourd’hui, y compris après la réalisation en 2014 d’un nouveau doublage. Si un tel traitement et une telle visibilité offerte dès 1987 peut surprendre pour ce film, cette diffusion sur la télévision publique italienne en cette fin des années 80 ne doit rien au hasard. En effet, dans l’ombre de la RAI s’était construit quelques années auparavant un vaste empire médiatique, riche de plusieurs dizaines de chaînes locales rachetés au fil du temps, le groupe Fininvest de Silvio Berlusconi qui dominait depuis 1984 la télévision privée. Et à côté des émissions et des jeux télévisés qui feront les succès d’audiences de ses chaînes, ce dernier achetait continuellement des animés japonais pour alimenter ses antennes en programme jeunesse économiques et divertissants. Il était donc tout naturel pour la RAI d’en faire de même, sachant que le service public italien n’a jamais hésité, dès les années 70, à proposer sur ces antennes des séries animées japonaises, notamment des séries comme Captain Harlock (Albator), Atlas Ufo Robot (Goldorak) ou Heidi, bien connues dans nos contrées. De ce fait, on peut être amené à penser que les responsables des acquisitions à la télévision publique italienne de l’époque ne voyait non seulement aucun inconvénient à diffuser ce genre de programme en pleine après-midi à destination de la jeunesse, mais qu’en plus, ces derniers avaient sans doute eu connaissance de la qualité du programme qu’ils achetaient. Est-ce que c’est cela qui pourrait expliquer le traitement particulier qui aura évité au film d’être proposé dans la version exporté et remonté par Manson International pour faire 90 min ? Le doute reste permis, et je n’ai malheureusement pas trouvé d’informations sérieuses qui me permettent de valider ou invalider cette hypothèse. L’année de la première diffusion semble en tout cas correspondre à la sortie française en VHS du remontage, dont j’ai évoqué brièvement le sujet dans mon précédent article, ce qui implique que Manson à l’époque a eu la possibilité d’exploiter leur remontage et le montage original dans le même temps et que cela ne les a manifestement pas gêné de vendre le montage original du film à la RAI et pas à d’autres manifestement.

Seul l’organe de communication de la RAI, Radiocorriere TV, mettra en avant Nausicäa lors de sa diffusion.

Pour ce qui est du doublage en lui-même, plusieurs choses peuvent être dites sur celui-ci. Produit par SINC Cinematografica, une société de doublage fondé en 1967 par l’acteur de western-spaghetti et comédien de doublage Mimmo Palmara et situé à Rome, cette version italienne a été dirigée par Eva Ricca, une actrice, comédienne et directrice de doublage, habituée du studio, et voix régulière de Lynda Carter depuis la série Wonder Woman, doublé justement chez SINC. Si il s’agit de sa seule direction artistique sur un animé à ma connaissance, ce n’est cependant pas la première fois qu’elle y fut confronté, étant donné qu’elle avait déjà doublée notamment le personnage de Flammet (Mirai Yashima en VO) dans le premier doublage de la série Mobile Suit Gundam, ainsi que la Princesse Aurora dans Science Fiction Saiyuki Starzinger, deux séries animés japonaises doublé justement chez SINC Cinematographica. Quand à l’adaptation, elle est signée de Rodolfo Cappellini, comédien et adaptateur ayant œuvré sur la série animée Tom Sawyer rebaptisé en Italie « Tom Story », mais aussi sur des films comme Philadelphia Experiment, The Stuff, House et j’en passe. En ce qui concerne ces textes, on peut noter qu’ils sont basés de toute évidence sur un script anglais qui ne correspond pas à l’identique au texte de Warriors of the Wind, mais qui a dû servir probablement de base à ce dernier, en témoigne certaines tournures de phrases, mais aussi des traductions erronés que ce doublage italien partage notamment avec le Nausicaa English Conversation Book, publié en mai 1985 par Animage, comme par exemple la réplique dans le flashback de Nausicäa avec son père, où ce dernier, voyant sa fille défendre un jeune Ohmu, dit qu’ils sont ces ennemis, là où il est plus question dans les doublages récents du film partout dans le monde mais aussi en version originale, qu’ils ne vivent pas dans le même monde. En ce qui concerne les choix et l’interprétation des comédiens, tout en restant prudent, étant donné que je ne maîtrise pas la langue de Dante et que très peu de voix ont été identifiés sur les sites italiens, je trouve le résultat malgré tout assez agréable. Paola Del Bosco offre une voix de jeune adulte à Nausicäa, mais son jeu est tout de même assez irréprochable à mon sens. Idem pour Gioacchino Maniscalco sur le seigneur Yupa qui lui donne un timbre de voix qui correspond parfaitement au personnage. Globalement, j’ai pu constaté que la synchro labiale était assez précise sur pas mal de scènes, ce qui témoigne sans doute d’un doublage assez soigné pour de l’animation japonaise, malgré un casting de voix qui reste malgré tout assez limité, doublage pour la télévision oblige.

Eva Ricca

En clair, malgré ses grosses libertés de textes qu’il présente par rapport à la version originale, ce doublage reste intéressant sur plusieurs aspects. Tout abord, il constitue la première trace de l’exportation d’un film « Ghibli » en Italie, et qui plus est avec un doublage du long-métrage dans sa version intégrale, contrairement à plusieurs doublages étrangers de la même époque. Et d’autre part, il constitue un point de départ intéressant pour traiter de l’adaptation des autres films en Italie, avec un casting de voix et une direction artistique qui semble manifestement assez soigné malgré le manque de moyens évident, et une traduction assez libre, même si l’adaptateur ne peut pas vraiment être tenu pour responsable des libertés présentes également dans les scripts anglais fourni par World Film Corporation, et que Manson a dû sans doute leur fournir. Néanmoins, cette première diffusion d’un long-métrage de Miyazaki, après Le Château de Cagliostro quelques années auparavant, ne sembla pas convaincre la RAI de reproduire l’expérience sur d’autres films du studio. Les diffusions et les rediffusions seront assez peu médiatisées, et comme partout dans le monde à l’exception des États-Unis (et de Japan Airlines certes !), il faudra attendre le milieu des années 90 pour croiser le premier « vrai » film Ghibli qui soit officiellement sortie en Italie, et ce ne sera pas n’importe quel titre.

Le Tombeau des Lucioles, un eccellente doppiaggio ?

Image de la première cassette italienne publié en 1995 contenant ce premier doublage.

En effet, c’est en 1995 que paraît en VHS chez le distributeur Yamato Vidéo un des films Ghibli les plus connus en dehors de ceux réalisés par Miyazaki, réalisé cette fois-ci par Isao Takahata, autre grand nom du studio, sous le titre Una tomba per le lucciole (Une tombe pour les lucioles). Cette sortie est sans doute le témoignage le plus flagrant que comme en France, l’Italie au début des années 90 a vu naître de nouveaux éditeurs vidéos qui se sont spécialisés dans l’animation japonaise, face à une demande nouvelle du public. En effet, comme pour les enfants ayant suivi Les Visiteurs du Mercredi, Récré A2 ou Vitamine chez nous, une première génération d’italiens qui avait vu débarquer les premiers animés à la télévision, dans des émissions comme Buonasera con…, Ciao Ciao, Junior TV ou encore Bim Bum Bam avaient grandi, et cherchaient pour certains à en savoir plus et découvrir davantage d’animés que ceux diffusés sur les réseaux de télévisions italiens qui les en avaient auparavant inondés, encore plus qu’en France. C’est dans ce contexte que naît au milieu des années 80 les premiers fanzines consacrés à l’animation japonaise, des fanzines comme “Graffiti”, “Comix”, “Fumo di china”, “Collezionare” ou encore “Yamato”. C’est ce dernier justement qui va particulièrement nous intéresser. Fondé au milieu des années 80 à Milan, et relancé par la suite de manière plus professionnelle en 1990, sous la direction d’Alfredo Castelli, cette publication va petit à petit se faire l’un des port étendard des fans d’animation japonaise, en participant notamment aux premières conventions locales. C’est dans ce contexte qu’une partie de ces contributeurs vont se lancer l’année suivante, en 1991, dans l’édition vidéo, avec une véritable structure entrepreneuriale, Yamato Video. Leur première sortie VHS sera Baoh (Baoh Le Visiteur), suivi en 1992 de plusieurs titres, dont Venus Wars, Macross Do You Remember Love ou encore Cobra The Movie. Tous ces titres seront doublés spécialement pour cette exploitation en cassette. Quelques années plus tard, l’éditeur est devenu grand, et a désormais la possibiliter de proposer des séries d’OVA comme Video Girl Aï, toujours en version doublée, et de compléter des doublages de séries animés comme Gaiking, racheté à Doro TV Merchandising (aujourd’hui Mondo TV). C’est dans ce contexte que Le Tombeau des Lucioles est acquis par Yamato, auprès de Toho International, sans toutefois passer par la société Ucore, qui détenait les droits en Europe à l’exception de la Grèce et de l’Italie. Le film sera proposé dans la collection habituelle de l’éditeur, et bénéficiera du même traitement que celle-ci, avec notamment quelques publicités dans les conventions, les fanzines et les revues spécialisés.

Francesco Prandoni

Pour faire doubler ce film pour la vidéo, Yamato Video fit appel une fois de plus au studio de doublage Promovision, avec qui ils avaient déjà travaillé sur Video Girl Aï, Gaiking et Très cher Frère… et avec qui ils retravailleront pour le doublage du film Galaxy Express 999, Arion et Bubblegum Crisis. Au cours de mes recherches, je n’ai trouvé aucune information sur ce studio, qui a dû émerger et disparaître comme beaucoup de petites structures de doublages de cette décennie, avec l’écroulement progressif du cinéma italien. Il me paraît en tout cas évident que ce studio devait se situer sur Milan, étant donné la proximité manifeste des deux sociétés sur la période, mais aussi la participation d’un des associés majeurs de Yamato Video à l’adaptation. En effet, c’est un certain Francesco Prandoni qui a traduit (sans doute depuis un script anglais et en vérifiant par la suite ce qui était dit en japonais) les textes du film en italien. Si ce nom ne vous dit sans doute rien, comme beaucoup de noms présents dans cet article, et c’est normal, il se trouve que cette personne n’est pas n’importe qui dans le monde de l’animation japonaise actuellement. En effet, si il fut un des grands contributeurs du fanzine Yamato, et qu’il traduira dans les années 90 différentes œuvres pour Yamato Video, à commencer par Video Girl Aï, Très cher Frère…, mais aussi L’Épée de Kamui, les OAV Rayearth, Perfect Blue ou encore Jinroh, il se retrouvera en 2001 à travailler au Japon, chez le studio d’animation Production I.G, où il travaille toujours aujourd’hui en tant que responsable des ventes à l’international, mais aussi en tant que producteur et membre du comité de production sur Ghost in the Shell: Arise. Un sacré parcours de vie ! Pour ce qui est de l’adaptation et de la direction artistique de ce premier doublage, elle est le fait d’un seul homme, Massimo Corizza, qui double par ailleurs le policier dans ce film. Un grand nom du doublage italien d’animés, puisqu’en plus de diriger et adapter Video Girl Aï et Très cher Frère (on y revient toujours), il a également dirigé par la suite les séries Duel Masters, Le Piano dans la Forêt, Tougen Anki, mais aussi, pour les plus vicieux d’entre vous, Shin Chan et Prison School. En plus de diriger, il a également été la voix de Takahashi dans Akira, de Son Goku enfant (et du général Blue) dans le premier doublage italien de Dragon Ball, en plus de prêter sa voix, dans le dernier film, au Matoumalin maître Karin. Sacré CV également. Pour ce qui est du doublage, difficile pour moi une fois de plus d’en dresser un bilan exhaustif. Cependant, après écoute sur une grande partie du long-métrage (vous ne m’en voudrez pas de ne pas avoir eu le courage de finir ce film), et avoir lu les retours de certains internautes italianophones, il paraît clair que ce doublage est très soigné et il est compréhensible que le redoublage de 2015, quelque soit sa qualité (et nous y reviendront sans doute une prochaine fois), ne pouvait que difficilement tenir la comparaison. Les dialogues italiens paraissent naturels, clairs à l’écoute, et le jeu des comédiens semble tout à fait à la hauteur de ce film ô combien difficile. La voix de Corrado Conforti et de Perla Liberatori correspondent parfaitement aux caractères respectifs de Seita et de Setsuko respectivement. Les ambiances pourront sonner parfois quelques peu artificielles, et on pourra noter de ça de là des recyclages, mais rien de choquant, notamment si on compare avec le premier doublage français réalisé deux ans plus tard, qui a les mêmes défauts à mon sens. Par contre, contrairement au doublage de Nausicäa, on retiendra, pour nous qui sommes habitué à un certain soin à ce niveau, une synchronisation labiale pas toujours parfaite dès qu’il s’agit de plans plus éloignés, mais qui peut concerner aussi dans de rares cas des plans plus rapprochés. Cependant, c’est aussi le cas de la version originale et même si ça constitue un défaut qui pourra sembler difficile à supporter sur certains passages très précis une fois remarqué, il faut se concentrer sur les lèvres des personnages pour vraiment identifier le soucis. Chacun verra midi à sa porte sur le sujet à mon avis, mais ce n’est clairement pas rédhibitoire.

Massimo Corizza.

Ce point désagréable mis à part, non, mille fois non, ce doublage prouve, si il était nécessaire, que l’Italie, après une première expérience relativement mitigé, a été en capacité de produire un bon doublage sur un film Ghibli, et ce, y compris un éditeur vidéo qui n’a pas forcément les mêmes moyens qu’une chaîne de télévision ou qu’un distributeur cinéma. Massimo Corizza a sans doute su s’entourer de comédiens particulièrement talentueux et le résultat s’entend au visionnage. Il a pu sans doute être bien aidé par les textes de Francesco Prandoni, qui ont fait l’unanimité, au point même où le second doublage n’hésita pas à réutiliser son travail en partie pour les dialogues. Cela dit, comme pour Nausicäa, la diffusion en VHS et sa réédition quelques années plus tard n’entraînera pas un regain d’intérêt dans l’immédiat, dans la péninsule, pour les œuvres du studio. Ainsi, contrairement à la France où quelques sorties cinémas et vidéos se feront plus ou moins discrètement tout au long de la seconde moitié des années 90, il faudra attendre le contrat entre Disney/Buena Vista et Ghibli, pour que l’Italie fasse davantage connaissance avec les œuvres de ce studio.

Joie puis désespoir : l’échec de Buena Vista…

Affiches italiennes de Princess Mononoké lors de sa sortie cinéma en mai 2000.

Après cette seconde traversée du désert de quelques années arrive le nouveau millénaire, et avec lui l’arrivée d’un nouveau film Ghibli le 19 mai 2000, cette fois-ci dans les salles obscures, avec comme en France, l’un des films les plus ambitieux de Hayao Miyazaki, Princess Mononoké. Comme en France, le film bénéficiera d’une campagne publicitaire à la hauteur du monument qu’est ce film, sorti 4 ans plus tôt au Japon. Cependant, il y aura une petite différence entre la France et l’Italie, le distributeur. Certes, c’est bien Disney aka Miramax qui est derrière la sortie du film à l’international. Cependant, là où la distribution en France s’est faite à travers la coentreprise Gaumont Buena Vista International, en Italie, elle s’est faite directement par la filiale locale de Disney et Miramax : Buena Vista International Italia. Si ils mirent les mêmes moyens que la filiale française pour proposer correctement le film dans les salles, il semblerait que le score au box office italien ne les ait pas convaincu de poursuivre la diffusion en salles des films, contrairement à la France, d’autant plus que trois ans plus tard, La città incantata (Le Voyage de Chihiro) fut, à la surprise générale, distribué pour l’Italie par la société indépendante Mikado, ce qui fait que Buena Vista n’a pas pu proposer le titre sur la péninsule. La conséquence se fera très vite sentir. Ne croyant plus au succès des films du studio Ghibli, Kiki’s Delivery Service – Kiki, consegne a domicilio (Kiki La Petite Sorcière) et Laputa – Castello nel cielo (Le Château dans le Ciel) ne sortiront qu’en DVD respectivement en 2003 et 2004. Quand à Porco Rosso, I sospiri del mio cuore (Si tu tends l’Oreille) et Il mio vicino Totoro (Mon voisin Totoro) qui avaient déjà été doublés, ils ne seront finalement jamais exploité, étant donné qu’en fin d’année 2005, la filiale italienne décide d’abandonner purement et simplement l’exploitation de tous les autres films Ghibli sur son sol. Seul Kiki La Petite Sorcière et Princesse Mononoké bénéficieront de rééditions DVD jusqu’en 2008, avant que les droits n’expirent au début des années 2010. Les raisons de cet abandon ne seront jamais communiqués au public comme aux spécialistes, mais l’on peut supposer que contrairement à l’Allemagne et la France, l’absence de diffusion ponctuelle des films du studio avant le contrat avec Disney n’a pas dû aider à la connaissance et à l’intérêt d’un public curieux de ces films, même si il fut tout de même présent. Difficile, en l’absence de chiffres sur la diffusion cinéma initiale, de juger de si Princess Mononoké a véritablement fonctionné ou non dans les salles transalpines. La sortie de Chihiro par un distributeur concurrent n’a pas arrangé à l’affaire de toute évidence, mais permet sans doute également d’avoir une piste, avec des chiffres d’entrées, 161 399 spectateurs pour celui-ci, qui étaient manifestement insuffisants et bien trop faible pour continuer à long terme du point de vue de Buena Vista. L’avenir démontrera qu’ils ont eu partiellement raison, étant donné que le plus grand succès à ce jour en salles de Miyazaki, Le Garçon et le Héron, ne fera que 500 000 entrées.

Silvia Monelli

Cela étant dit, qui dit Disney/Buena Vista dit doublage soigné, et effectivement, Buena Vista International Italia n’a pas souhaité faire des doublages à bas coûts et a confié à ces différents studios à Rome auxquels il a l’habitude de travailler sur ces longs métrages le soin de réaliser des doublages sur les Ghibli. Il est important de préciser que contrairement à la France où Dubbing Brothers est devenu le studio de doublage de prédilection de Disney à partir de 1995, ces derniers ont continué en Italie de travailler avec plusieurs studios, même encore aujourd’hui. Ainsi, Princesse Mononoké a été doublé chez le studio de doublage DEA 5, basé à Rome, cofondé en 1984 par Silvia Monelli, qui assure par ailleurs la direction de ce doublage. Ils ont travaillé avec Disney sur Le Bossu de Notre Dame (en collaboration avec SEFIT-CDC) et sa suite, Hercule, Dinosaure ou encore Lilo et Stitch. Quand à Kiki et Laputa, ces deux longs-métrages ont été doublé chez CAST DOPPIAGGIO, à qui l’on doit les doublages des films Pixar, dont Alla ricerca di Nemo (Le Monde de Nemo), Gli Incredibili – Una « normale » famiglia di supereroi (Les Indestructibles), ou encore Ratatouille. Le doublage de ces deux films est assuré par Carlo Valli, grande acteur italien et figure du doublage, voix régulière de Robin Williams, et employé régulier de ce studio, dont il est le directeur artistique principal. En ce qui concerne les textes de ces versions italiennes, on retrouve sur Princess Mononoké Rodolfo Cappellini, qui avait adapté la première version italienne de Nausicäa comme dit plus tôt. Pour les deux autres films, c’est un certain Gualtiero Cannarsi qui se chargera de l’adaptation, figure qui deviendra oh combien controversé par la suite. Pour parler brièvement du travaux de ces deux adaptateurs, Rodolfo Cappellini fournira un travail à la hauteur du long-métrage, malgré une certaine fidélité au script anglais fourni par Disney qui font que certains textes s’éloignent de la version originale, à l’instar de la version française où Jean-Marc Pannetier avait tout de même fait attention à repérer les anglicismes et a les réinterprété intelligemment pour le spectateur plus ou moins japonisant ne soit pas choqué des tournures de phrases. Quand à Gualtiero Cannarsi, même si on retrouve quelquefois certaines des tournures caractéristiques de « son style d’adaptation », d’après les remarques de certains italiens et ce que j’ai pu constaté à mon visionnage, son travail reste cependant très sobre sur ces deux films par rapport à ce qu’il proposera par la suite sur le reste de la filmographie du studio. Pour finir ce tour d’horizon sur ces doublages, je me dois de parler du Voyage de Chihiro où Mikado Films a confié le doublage à la société CDC. La direction du doublage est signé de Teo Bellia, voix ponctuelle de Tim Allen, mais aussi directeur artistique sur les animés Kakegurui et Witch Watch, en plus d’avoir dirigé la version italienne du film d’animation Corto Maltese. Quand à l’adaptation elle est signée d’une grande vétérane du doublage italien, Elisabetta Bucciarelli, écrivaine et traductrice parlant l’anglais, l’espagnol mais aussi le français, ce qui lui a permis par exemple de diriger et adapter en italien la série d’animation franco-japonaise Ulysse 31. Pour faire un tir groupé de l’ensemble de ces versions italiennes, nous pouvons dire que malgré leurs imperfections, il s’agit sans aucun doute des meilleures doublages qu’aura reçu le studio Ghibli sur les terres transalpines. Il s’agit clairement de doublages soignées, où les petits plats ont été mis dans les grands pour proposer des doublages à la hauteur de ces films, que ce soit au niveau du casting, de la direction comme de l’adaptation, soin valable également pour Kiki et Laputa, malgré que ces derniers soient sortis en vidéo. Certes pour Princess Mononoké, les textes ont été adaptés depuis un script de doublage, mais dès Kiki, ce problème est corrigé par Buena Vista, même si en contrepartie, le mixage de ce doublage a été effectuée depuis la version américaine, occasionnant quelques petites différences de musiques subtiles par rapport à la version française, mixé depuis la version internationale japonaise. Quand à Laputa et Chihiro, aucune remarque ne s’est faite entendre sur ces deux doublages, témoignant de leur qualité certaine.

Carlo Valli

Ainsi, avec de telles versions italiennes, les films du studio avaient toutes les chances pour s’installer dans de bonnes conditions sur la péninsule italienne. Certes, ces doublages ne sont parfaits, mais tout comme nos doublages français que nous avons pourtant appris à chérir, nouveau film après nouveau film. Les doublages de Princess Mononoké, Laputa – Castello nel Cielo et Kiki, consegne a domicilio par Buena Vista Italia, sans oublier le doublage de La città incantata produit par Mikado Films sont indéniablement fait avec un grand respect pour l’œuvre de Miyazaki, avec un soin à tous les niveaux, et ne méritaient certainement pas de sombrer dans l’oubli et d’être, les uns après les autres, redoublé dans les années 2010, pour un résultat, qui, de l’aveu des italiens eux-mêmes, ne les a pas convaincu du tout. Quoiqu’il en soit, le responsable de ceux-ci, ainsi que de l’exploitation des nouveaux films Ghibli en Italie de 2006 jusqu’à nos jours, est la boîte indépendante Lucky Red. C’est elle qui produira, pour le meilleur mais surtout le pire, des doublages en italiens qui ne resteront sans doute pas en mémoire pour les bonnes raisons…

Et je vais m’arrêter là pour l’instant, car je sens qu’avec tous les éléments que je vous ai déjà donné jusque là, vous avez peut-être eu l’impression d’être entrer dans un tout autre monde du doublage que celui que vous connaissez, un monde parallèle étonnant, surprenant, presque hors de votre temporalité. Et je crois bien que ce début de recherche m’a permis de déceler quelque chose. Si les pays francophones sont sans aucun doute des grand consommateurs de doublage et ont un patrimoine, une histoire avec leurs versions françaises qu’il faut préserver, nous sommes tout sauf une singularité, une sois-disant exception ou particularité française, surtout en Europe. L’Italie en est la preuve, en étant sans doute le second, si ce n’est le premier pays consommateur de doublage devant nous, indéniablement, d’autant plus que l’histoire de son cinéma est étroitement lié à celui de son doublage, bien plus encore que chez nous. Il y a sans doute tant d’histoires à raconter sur leurs doublages que je n’aurai jamais assez de ma vie entière pour vous en parler et faire des recherches sur le sujet, sans compter traduire ce que peuvent déjà dire certains italianophones, comme je l’ai déjà partiellement fait ici. Cela étant dit, je compte bien poursuivre dans les prochaines semaines ou les prochains mois, si vous le voulez bien, et si tout va bien, la suite de cette passionnante histoire entre Ghibli et l’Italie, même si l’on va quelque peu déborder sur l’animation japonaise en général et sa distribution dans la péninsule, à travers le parcours d’un adaptateur et directeur artistique que j’ai brièvement évoqué ici, mais qui fait figure d’un des acteurs du doublage les plus controversé de l’Italie. Vous l’avez, compris, je parlerais la prochaine fois, de Gualtiero Cannarsi, son parcours, son travail sur les Ghibli de 2003 à 2019, notamment pour essayer de dresser un parallèle avec celui avec qui il semble bien qu’il ait des choses en commun sur sa manière d’adapter et de faire du doublage, Hervé Icovic. Au revoir, et à bientôt !

À SUIVRE…DANS UN PROCHAIN ARTICLE !

2 commentaires

  • Elsental

    Merci pour ce beau rendu de recherche. C’est effectivement pour moi un monde bien étranger le doublage italien. Cela m’attriste que l’Italie ait eu une histoire aussi difficile avec Ghibli.
    Quand je vois comment Ghibli a atteri dans mon foyer avec les DVD, je me dis que cela n’aurait sûrement pas été possible sur ces mêmes années en Italie.

    • UniversJB

      Pour les DVD, disons que si l’ensemble des Ghibli sortiront finalement un peu plus tard en Italie à la fin des années 2000 et au début des années 2010 (j’en parlerais dans la seconde partie), ça n’aura pas du tout la même audience que chez nous, et les doublages (voire redoublages) de ceux-ci n’arrangeront rien à l’affaire. Merci en tout cas pour ton retour, ça fait plaisir !

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