Interview

Interview de Nadine Gastaldi (Lady Oscar)

Bonjour à tous et à toutes, et bienvenue dans cette interview particulière à mes yeux, puisqu’elle vient à la fois en complément, mais également en réponse, à mon article sur le doublage français de la série animée Lady Oscar, parue en mars dernier dans le numéro 250 de la revue Animeland. En effet, par manque de temps et pour des raisons d’emploi du temps, je n’avais pas pu inclure à ce moment-là les propos de Nadine Gastaldi, qui avait participé à l’époque sur la version française de la série en tant que conseillère historique. De ce fait, avant de lire cet entretien, qui comprend l’entièreté de mes échanges que j’ai pu avoir avec elle, je ne peux que vous recommander, si vous êtes curieux, de lire auparavant cet article ainsi que l’ensemble du dossier sur Lady Oscar, tant la qualité des analyses que les réflexions qui ont été posés à l’intérieur mérite le détour, que vous soyez fan de l’œuvre, des mangas « shōjos », ou un simple passionné d’animation japonaise et de manga curieux d’en savoir plus.

Cela étant dit, quelques éléments de contexte s’impose. La série animée Lady Oscar, aussi connu sous le nom original La Rose de Versailles, adaptée du manga éponyme de Riyoko Ikeda avec quelques libertés notables, a été diffusée au Japon à partir du 10 octobre 1979 sur les chaînes syndiqués du groupe Nippon Television. Si la série animée, éclipsé par l’œuvre originale, l’adaptation au théâtre (notamment de la revue Takarazuka), mais aussi au cinéma sous la caméra de Jacques Demy, ne connaîtra pas un énorme succès dans son pays natal, il en fut tout autre en Europe et en Amérique Latine, où cette série animée fut diffusé et apprécié pour son histoire, sa dramaturgie et sa qualité technique remarquable pour l’époque. En France, il a fallu attendre sept années pour voir l’œuvre poindre le bout de son nez chez nous, la série ayant été diffusée partir du 8 septembre 1986, sur Antenne 2, dans l’émission jeunesse Récré A2. Le programme avait été acheté à l’époque par le distributeur français IDDH (Edgar Le Détective Cambrioleur, Signé Cat’s Eyes, Cobra, L’Île au Trésor, etc…) auprès des japonais de Tokyo Movie Shinsha qui avait coproduit et réalisé l’animation de cette série. La version française avait été produite à la Société de Sonorisation de Films (SOFI), sous la direction de Jacques Torrens, tout du moins dans les premiers épisodes, avec la comédienne Nadine Delanoë qui campe, avec beaucoup de talent, Oscar François de Jarjayes, mais également le regretté Éric Legrand qui interprète brillamment André dans la seconde partie de la série, en succédant à Gérard Lartigau qui l’interprétait dans les quinze premiers épisodes. On retrouve également parmi les comédiens principaux Amélie Morin (Candy) sur Marie-Antoinette, Jean-Pierre Leroux sur Axel de Fersen sans oublier l’extraordinaire Jean Topart qui campe le narrateur avec sa voix si reconnaissable. Comme beaucoup de doublages produits par IDDH, on sent qu’un soin particulier a été accordée au niveau du doublage, que ce soit au niveau de l’adaptation, extrêmement soigné, qui colle au ton et à l’ambiance que l’on peut attendre d’une histoire se déroulant à la fin du XVIIIe siècle, ainsi qu’au niveau du choix des comédiens, sans oublier la façon de parler des personnages, notamment le ton informelle et formelle que l’on retrouve dans les dialogues entre Oscar et André, qui est habillement utilisée. Certes, la version française n’est pas exempt de défauts, comme quelques rares coquilles dans les dialogues, comme par exemple dans le premier épisode le narrateur qui prononce 1779 au lieu de 1769. Le doublage a également pour autre défaut notable plusieurs changements de voix qui, si il ne choquait pas le spectateur d’alors qui attendait un épisode toutes les semaines à la télévision, pourrait choquer assez vite quiconque serait tenté de visionner les épisodes en marathon. Il en va de même, pour les plus connaisseurs de l’œuvre, concernant les libertés prises au niveau de l’adaptation, notamment sur le fait que personne à la cour ne sache qu’Oscar est une femme, qui est pourtant un élément totalement absent de la version originale de la série. Il est également question, dans les reproches faite à la version française, de certains ajouts de contexte historiques et d’autres détails absents en VO sur lesquels madame Gastaldi a pu revenir brièvement avec nous, ainsi que sur son parcours atypique qui lui a fait croiser la route fictionnelle d’Oscar François de Jarjayes à l’occasion de ses études à l’école des Chartes.

Jérémie (J.B) : Bonjour Madame Gastaldi, merci d’avoir accepté cet entretien. Avant que l’on s’intéresse de plus près à Lady Oscar, j’aimerais que vous reveniez un peu sur votre parcours en tant qu’historienne.

Nadine Gastaldi (N.G) : D’accord. Alors en tant qu’historienne, j’ai toujours aimé l’Histoire, et donc mon professeur en terminale m’avait dit qu’il existait une école spécialisée quand on aimait faire de l’histoire, l’école des Chartes. C’était une école nationale, un peu l’équivalent de l’école normale supérieure, mais vraiment spécialisée pour les historiens, et qui menait à différents métiers, de la conservation, notamment en ce qui concerne les archives, les musées, ou encore les bibliothèques. Tout cela, ça m’intéressait et j’ai ainsi fait une classe préparatoire au lycée Henri IV, qui proposait une préparation spéciale pour les Chartes. Et c’est comme cela que j’ai passé le concours, que j’ai obtenu, et que je suis conservateur d’archives depuis 1987. Je suis sortie de l’école et, toujours aux archives nationales, j’ai d’abord travaillé sur l’histoire religieuse. J’ai fait une thèse sur les dévots laïcs au XVIIe siècle. Aux archives, j’ai d’abord travaillé au service des archives privées, où je pouvais aller acheter chez les libraires ou en salle des ventes et m’occuper de récupérer des archives auprès de familles, d’associations, etc… . C’était un service très divers en termes de contenu d’archives. Et puis après, aux archives nationales, je me suis passé dans la section du moderne, qui s’intéresse principalement au XIXe siècle. Je me suis notamment occupée du fond concernant les cultes. Après, j’ai reçu la gestion du fonds consacré aux Beaux-Arts. Et c’est comme ça que, maintenant, je suis passée à la mission Cartes et plans. Parce qu’avec les Beaux-Arts et avec les Cultes d’ailleurs, j’ai eu à travailler sur des plans d’architecture. Aux Cartes et plans, je me suis spécialisée en plus en cartographie.

J.B : Vous pouvez nous en dire plus sur vos missions en cartographie ?

N.G : Pour les cartes et les plans des Archives Nationales, je me retrouve à travailler sur deux sites actuels, un à Paris et un autre à Pierrefitte sur Seine. Pour les cartes et plans, notre fond remonte au XVe siècle pour les documents les plus anciens connus que nous conservons, et cela couvre jusqu’au XXIe siècle. Les archives proviennent de l’ensemble de la production de l’État au niveau central, depuis le VIe siècle après Jésus-Christ jusqu’à aujourd’hui, des Rois de France jusqu’au Président de la République, et tous les ministères et les administrations centrales de l’État. Il y a un service spécialisé qui s’occupe de gérer directement certains fonds de cartes et plans sur la gestion des cartes et plans, leur description, leur valorisation.

Le travail de Madame Gastaldi peut l’amener notamment à travailler sur ce type de documents, comme par exemple cette carte de France, par Tassin, qui date du XVIIe siècle.

J.B : Et donc, lorsque vous travaillez sur des cartes, vous travaillez, par exemple, au XXe siècle, sur des cartes de l’IGN, notamment ?

N.G : Alors, il y a des fonds qui nous proviennent de l’IGN, mais il faut rappeler que ce dernier est un service public qui verse aux archives nationales. Récemment, ils nous versé tout ce qu’ils appellent les dossiers frontières. Ils avaient été fait au XXe siècle à la demande de certains pays, notamment après la décolonisation. Mais sinon, nous recevons d’autres productions de cartes venant de tous les secteurs administratifs.

J.B : Y compris les archives militaires ?

N.G : Justement non, c’est l’exception, le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères possèdent des services d’archives séparés de la nôtre. De notre côté, nous dépendons du ministère de la culture. Cela dit, nous pouvons être confrontés ponctuellement à des cartes et plans réalisés par les armées ne venant pas de ces ministères (N.d.A : Mme Gastaldi doit évoquer certaines cartes antérieures et postérieures à 1789 qui se sont retrouvés, dans certaines circonstances, confiés aux Archives nationales).

J.B : Donc du coup, si je comprends bien tout ce que vous nous avez dit plus tôt, votre travail sur Lady Oscar, cela date de bien avant tout cela.

N.G : Exactement, c’était en 1985, j’étais encore à l’école des Chartes. En plus de mon travail à l’école, ça m’a procuré un petit boulot d’étudiant on va dire, puisqu’on m’avait demandé de relire les dialogues qui avaient été traduits en français, pour vérifier s’il n’y avait pas des erreurs historiques dans la façon de s’exprimer, dans certaines choses qui ont été dites au niveau du dessin animé. Comme il y avait beaucoup, beaucoup d’épisodes, une quarantaine de souvenir, il y avait beaucoup de vérifications à faire, donc mon boulot, c’était de relire chaque dialogue un à un, de voir si tel personnage pouvait s’adresser à l’autre de telle façon en termes de politesse, et en termes d’expressions qui pouvaient être utilisées au XVIIIe siècle par rapport à ce qui était possible de traduire. L’idée, c’était de garder quand même une expression valable, compréhensible pour les gens du XXe siècle, du XXIe, mais qui soit quand même le plus correcte possible par rapport à ce qui était dit dans le dessin animé, mais aussi à l’époque, notamment à la cour du roi.

J.B : Donc il s’agissait pour vous, et pour les adaptateurs j’imagine, d’un exercice d’équilibriste ?

N.G : C’est cela. Il fallait essayer de faire des dialogues qui pourraient sonner du XVIIIe siècle, sans que cela ne soit incompréhensible, en essayant de respecter les conventions, notamment au niveau du français. Pour être honnête, au moment de m’occuper des dialogues, je n’étais pas vraiment spécialiste du XVIIIe, davantage du XVIIe. En revanche, j’ai eu l’occasion d’aller assez souvent à la Bibliothèque Nationale pour faire ce travail, où j’ai lu beaucoup de dictionnaires de l’époque, où j’ai utilisé beaucoup de manuels qui parlaient de la vie quotidienne au XVIIIe siècle, ou de biographies sur les personnages évoqués, ce qui m’a permis de corriger certaines erreurs, ou de proposer certaines expressions à la place d’autres, voilà. C’était assez long à faire, puisqu’il y avait une quarantaine d’épisodes. Et comme je le disais, il fallait que les textes soient vraisemblables, correct en terme historique, qu’il n’y ait pas d’anachronismes, mais que ça reste compréhensible, et pas loin de ce qui pouvait être dit dans la réalité.

J.B : Et donc, celui qui vous avait demandé de faire ça, c’était IDDH et M. Huchez (N.d.A : le patron de l’entreprise) ?

Image de Jacqueline Joubert issu d’un entretien pour le documentaire « Télé – Notre Histoire » de l’INA. Elle revenait notamment sur son travail à la tête de l’unité jeunesse d’Antenne 2.

N.G : Alors, en fait, non. La commande m’était parvenue par le biais de Jacqueline Joubert, qui était à la tête des programmes jeunesse d’Antenne 2, À l’époque, elle habitait juste en face de chez moi, et comme nous nous connaissions, elle savait que j’avais fait des études d’histoire, que je faisais des études à l’École des Chartes, et elle m’a donc proposé, en fait, de faire ce petit travail de relecture des épisodes sur Lady Oscar. C’est comme cela que je suis intervenu. 

J.B : Comment faisiez-vous parvenir vos textes relues à IDDH et/ou à la société de doublage, la S.O.F.I ?

N.G : En fait, pour réaliser la relecture des épisodes, je faisais les corrections avec ma petite machine à écrire. A l’époque, il n’y avait pas la messagerie comme vous la connaissez aujourd’hui, faire des allers-retours par la messagerie est devenu assez simple, il faut le reconnaître. En 1985, je devais rendre mes textes corrigés dans une enveloppe, et je les envoyais il me semble à Jacqueline ou à quelqu’un d’autre. C’était de cette façon que les allers-retours se faisaient, et je reconnais que c’était un peu artisanal tout de même.

J.B : Donc vous n’étiez pas en contact du tout avec l’équipe de doublage de la série, y compris Michel Salva (N.d.A : Le patron de la SOFI, qui a adapté quelques épisodes sur la série) ?

N.G : Alors si, j’ai été en contact avec certaines personnes chargés du doublage, mais le contact était toujours, comment dire… littéraire, par écrit. J’ai dû avoir sans doute un contact une fois ou deux avec ces gens qui suivaient de très près la production et l’adaptation en France, mais ça remonte quand même à loin, je ne me souviens plus très bien de tout les détails malheureusement. Si vous voulez, de toute cette période, je me souviens surtout de mon travail de bénédictin à la Bibliothèque, avec d’un côté le texte, de l’autre mes corrections, et mes bouquins devant moi pour comprendre tout sur cette période, tout en essayant de comprendre ce qui se passait dans l’épisode. Tout était fait de manière textuelle. Après, en faisant travailler un peu ma mémoire, je crois me rappeler vaguement avoir eu deux ou trois rencontres où on s’est mis d’accord sur la façon de travailler, sur les calendriers de rendu aussi. Mais ce qu’il faut retenir, si vous voulez, c’est qu’au final, ils ont pris mon travail et en ont fait ce qu’ils voulaient après. Je n’ai pas suivi davantage ce qu’ils faisaient de mes textes, ce n’était pas mon rôle. J’ai fait ça durant mes périodes de vacances, notamment l’été de ma première année à l’école des Chartes.

J.B : Vous receviez quel type de documents pour ce travail ? Les scripts de doublage en français ?

N.G : Voilà, oui, oui, tout à fait. Tout avait déjà été traduit avant mon passage, ce que faisais, c’était vraiment de la relecture avant tout.

J.B : Est-ce qu’il vous est arrivé de tomber sur des erreurs grossières lors que vous relisiez les scripts ?

N.G : Je ne pense pas qu’il y ait eu d’énormes erreurs de la part des adaptateurs, mais j’ai quand même dû reformuler par moments certaines expressions qui ne convenaient pas.

J.B : Dans la version française, il y a quelques passages où des ajouts historiques ont été faits par rapport au texte de la VO tel que l’on peut le comprendre à travers les sous-titres français réalisés pour la sortie DVD (N.d.A : Ces sous-titres avaient été réalisés à l’époque par le collectif Sanjûshi). Je pense notamment à l’épisode 13 et la rencontre entre Oscar et Robespierre, mais aussi l’épisode 23 avec l’affaire du collier.

N.G : Alors…il se peut qu’effectivement, pour le contexte français, on ait été plus attentif à cette question historique parce que c’était diffusé en France sur une histoire qui se passe en France. Je pense qu’au niveau de ce qu’on m’a demandé, on m’a sans doute inviter à préciser et apporter des éléments historiques supplémentaires lors de la correction des dialogues, de contextualiser davantage, notamment pour que les récepteurs français ne soient pas mécontents ou surpris par rapport à ce qui était proposé dans le dessin animé. Nous étions encore dans une époque à la télévision, où les dessins animés japonais en France venaient tout juste d’arrivé et d’être diffusé. Il y avait déjà eu pas mal de polémiques autour de la qualité de ces dessins animés et de leur intérêt pour la jeunesse (N.d.A : Sans doute Mme Gastaldi évoque ici les cas des débats ayant entouré la diffusion de Goldorak et d’Albator, bien avant l’arrivée du Club Dorothée quelques années plus tard qui embrasera davantage le débat public concernant les animés diffusés à la télévision). Donc l’idée, c’était sans doute aussi de montrer que ces dessins animés n’étaient pas si niais et si mauvais que ça, et qu’ils pouvaient apporter aussi, dans le fond, de façon ludique, des éléments de connaissance au public, que ce soit scientifique ou historique, dans le cas de Lady Oscar. Pour en revenir aux cas que vous citiez, il se peut que moi même, j’ai apporté des explications sur certaines parties de l’épisode, sur certains dialogues, en disant est-ce que c’est bien ça, est-ce que… voilà. Comme je le disais auparavant, ce qu’a fait la production de mes textes, je ne l’ai jamais su. Sans doute que me connaissant, j’ai apporté plus d’explications que ce qui était demandé, et peut-être que les adaptateurs les ont utilisées en se disant que ça pouvait être utile, afin que le spectateur comprenne mieux ce qui se passe. Peut-être qu’il y a eu aussi l’optique, de la part du distributeur, que c’était un dessin animé, donc que c’était destiné avant tout à un public d’enfants et qu’il leur fallait absolument leur expliquer certaines choses. Rétrospectivement, je pense que ce dessin animé était tout de même assez compliqué à comprendre pour un public de six à douze ans, et que l’on évoque à plusieurs reprises des évènements historiques s’étant réellement déroulés, qui ne sont pas forcément abordés dans les programmes scolaires.

Le passage auquel je fais référence concerne cette narration à la fin de l’épisode, interprété par Jean Topart en VF.

J.B : Justement, puisque vous évoquez le sujet des évènements historiques dépeint dans la série, je voulais revenir sur l’épisode 24, avec la mort de Jeanne de la Motte, qui est au cœur de l’affaire du collier de la reine. En effet, la VF, par le biais du narrateur, affirme ceci « c’est ainsi qu’aurait dû mourir Jeanne De La Motte », là où il n’en était pas question en VO. Or, il est vrai que dans la réalité, cette dernière était effectivement morte en exil en Angleterre, et pas du tout de la manière dont le montre la série. De ce fait, je m’étais demandé si ce n’était pas vous qui aviez rajouter l’usage du conditionnel à de la relecture ?

N.G : Je pense que c’est pour ça, j’ai dû rajouter pas mal de conditionnels dans ce cas précis, en me disant que c’était une interprétation, que ça ne s’était pas passé comme ça. Effectivement, Jeanne de la Motte n’est pas morte en France, elle a été condamnée à être bannie et a été marquée au fer, puis s’est enfuit en Angleterre. Dans ce genre de cas, je me doutais que le dessin animé, que le manga, dans ces moments historiques, pouvait prendre des libertés avec la réalité. Et donc, le seul compromis qui me semblait raisonnable pour dire que ce n’était peut-être pas tout à fait ça dans la réalité, c’était l’emploi du conditionnel. Aurait dû, aurait pu, et peut-être, voilà. Dans le dessin animé je me souviens plus si elle est exécutée ou pas, mais si elle l’était je savais au moins que c’était faux.

J.B : Elle n’a pas été exécuté dans le dessin animé, elle meurt dans un manoir, au moment où Oscar et sa garde attaquent le manoir pour essayer de l’arrêter.

N.G : Donc ce n’est pas tout à fait la réalité historique. Dans une fiction, même à base historique, ça me paraît être une modification acceptable. Mais, voilà, en tant qu’historienne, ça me semblait important de signifier que ce n’était pas vraiment la réalité, ou au moins d’apporter le doute sur ce fait-là. Peut-être que j’ai eu peur que les récepteurs croient que c’était véridique. Dans le roman, dans la bande dessinée, dans le dessin animé, il y a des choses totalement vraies historiquement, puis des choses qui sont en face de la fiction. Et je pense que c’est un peu comme quand on fait un travail de restauration d’une œuvre d’art. Aujourd’hui, on respecte ce qu’on appelle la charte de Venise et peut-être que moi-même, j’ai été trop historienne, trop attachée à la réalité historique, surtout avec ma formation de chartiste, j’ai peut-être un peu exagéré sur ce passage, sans critiquer d’ailleurs ni la série, ni son adaptation française. Pour en revenir à la charte de Venise, il est dit que pour la personne qui regarde l’œuvre qui a été restaurée, la restauration ne doit pas la choquer, elle ne doit pas trouver que c’est trop moche. La restauration doit lui permettre d’apprécier totalement l’œuvre, mais celle-ci doit être perceptible quand même. La partie restaurée doit être distinguable, même de façon furtive. Et moi, c’est un peu ce que je voulais sans doute faire sur Lady Oscar, c’est-à-dire que la distinction entre le fait vrai, qui était dans le dessin animé, et le fait arrangé, devait être un peu perceptible, sans que ce soit choquant, qu’on puisse quand même suivre l’histoire.

J.B : Je voulais également revenir sur le changement important de la version française, c’est que dans la VO, la cour sait que Oscar est une femme. Or, dans la VF, à part quelques proches, ce n’est pas le cas.

N.G : Alors ça, c’est peut-être un choix fait plutôt par le distributeur français. Je veux dire, dans la version japonaise, si on le sait dès le départ, que tout le monde l’a compris dès le départ, c’est que ça doit faire partie des aspects importants de la série. Je pense qu’une des pistes qui pourrait expliquer cela, est qu’il y a moins de distinctions en japonais entre le masculin et le féminin ? Ou alors les traductions des scripts peut-être ? Après, on peut dire que ce sujet tombait bien dans les années 80, parce que c’est le moment où on aime beaucoup les personnages androgynes, ainsi que les représenter, dans la fiction, mais aussi dans la réalité. Dans tous les cas, ce changement dans la VF ne vient absolument pas de moi. Je pense que ça devait déjà être dans les scripts qu’on m’a donnés. Je sais que dans mes relectures, j’ai fait des vérifications sur l’aspect historique, mais certainement pas sur ces considérations-là. Peut-être que le choix de programmation dans une case jeunesse qui a dû joué dans cette décision, le distributeur a sans doute voulu éviter d’aborder les ambiguïtés qu’impliquait le personnage d’Oscar…

J.B : Cela appuierait le fait que les relations entre Rosalie, la sœur de Jeanne de la Motte, envers Oscar soient fortement édulcorés. J’avais pu remarquer dans la VF qu’elle éprouve une admiration pour Oscar, là où en VO, ses sentiments sont plus explicites.

N.G : Donc c’est peut-être effectivement une adaptation qui a été fait en fonction du public visé.

Dans l’épisode 1, le comte de Girodelle est nommée en VOSTFR « Comte de Jarodelle ». Erreurs des sous-titres ou de la VF ?

J.B : Un dernier élément que j’ai pu remarqué, c’est aussi concernant des noms de titres de noblesses où j’ai constaté entre les sous-titres des éditions DVD/Blu-ray et la VF plusieurs divergences.

N.G : Je vais être honnête, il y a des noms dans la série que je ne connaissais pas au moment où j’ai travaillé dessus. Pour les noms qui semblaient fictifs, ou des noms qui ont peut-être une consonance amusante ou qui me semblait vouloir dire quelque chose, j’ai voulu les garder tel quel, pour ne pas prendre de risque. Par contre, pour les personnages historiques, j’ai utilisé tout un tas de dictionnaires que j’ai consulté et qui ont pu me confirmer tel ou tel nom, telle suite de noms. Dans la noblesse, les noms peuvent être très très longs, et dans toute la titulature, on peut en choisir une ou une autre. De toute façon, ces titulatures peuvent changer au cours de la vie des nobles, donc il est possible que la production, du côté du Japon pour la production de la série, ou du côté de la France pour l’adaptation en français, ait décidé d’utiliser un nom sans mentionner son évolution dans le temps parce que sinon les enfants ou les spectateurs n’allaient pas comprendre. Après, je ne sais plus les détails concernant ce qui avait été décidé, et n’ayant malheureusement pas revu la série, je ne pourrais rien vous dire de plus.

J.B : Parfait. Je crois que j’ai fait le tour des questions, je vous remercie en tout cas d’avoir pris le temps de discuter avec nous, et d’être revenu sur votre expérience de conseillère historique sur cette série.

C’est donc sur ces mots que s’est conclu l’entretien que j’ai pu avoir avec Mme Gastaldi. Je la remercie infiniment pour sa patience, et pour avoir pris, le temps d’un repas, de revenir sur ce « petit boulot d’étudiant » dont elle ne pensait sans doute pas qu’on viendrait lui poser encore des questions aujourd’hui. A travers l’entretien, on comprend bien que, derrière cette appellation de conseiller historique sur la version française, se cachait en réalité un petit boulot de relecture minutieux du texte, par une étudiante spécialiste en Histoire qui avait manifestement développé de bonnes aptitudes sur la méthodologie historique, et qui a su être force de proposition dans les textes des adaptateurs, ce qui explique à la fois les rajouts historiques et les détails précis évoqués judicieusement dans l’adaptation de la version française, ainsi que certaines tournures plus poétiques et bienvenus dans ces textes qui ont marqués des générations de spectateurs, la série ayant pu bénéficié de plusieurs rediffusions. Cela dit, elle reconnaît elle-même que travail avait été fait de manière assez artisanale, ce qui explique également ces petites maladresses ponctuelles sur le texte français, les bizarreries cités plus tôt, et parfois quelques libertés assez importantes prise avec la version originale, qu’elle soit ou non de son initiative.

Étant donné les circonstances, la transcription de cette interview ayant été finalisé il y a presque un mois, je tenais à ajouter ce paragraphe supplémentaire pour rendre un bref hommage au comédien Eric Legrand, qui nous a quitté le 22 mai dernier, des suites d’une myélome, et qui interprétait le rôle d’André dans la seconde partie de la série. Si beaucoup se souviennent de lui pour ses rôles de Vegeta et de Yamcha dans la franchise Dragon Ball, ainsi que Seiya dans Les Chevaliers du Zodiaque, Eric fut sans doute une des voix importantes et reconnus du monde du doublage. Même si il n’était pas un grand fan des séries animées japonaises, il a toujours voulu travailler avec professionnalisme quand on l’appelait sur des rôles, et à cela, l’accueil et la reconnaissance du public au fil des années le touchait véritablement, et l’a incité à toujours donner le meilleur de lui-même. Souvent invité en convention et pour des interviews, il est sans doute devenu, pour beaucoup d’entre nous, un exemple de comédien qui prenait à cœur ce qu’il faisait, et qui n’hésitait pas à parler, sans langue de bois, de ce qui lui tenait à cœur, notamment le fait d’être des comédiens avant tout, mais aussi des difficultés et des problèmes que connaissait le métier. Au-delà de ces rôles dans l’animation japonaise, il a été la voix régulière d’Owen Wilson de la fin des années 90 jusqu’aux années 2000, et de bien d’autres acteurs, de manière plus ponctuelle, sans compter sa carrière au cinéma et au théâtre. Sur Lady Oscar, en plus de succéder avec talent à son prédécesseur, il apporta sans aucun doute sa justesse de jeu et sa sensibilité à ce personnage complexe qu’est André, tiraillé entre son amour pour Oscar, qu’il refoule en raison de son statut de roturier, et sa patience et sa loyauté indéfectible envers elle jusqu’à la fin de ses jours. Sa voix va terriblement manquer au monde du doublage, mais aussi à ses proches, ses amis, ses collègues, ses confrères comédiens, et à nous tous, spectateurs.

Ces derniers mots écrit le cœur lourd, je vous remercie d’avoir lu cette interview particulièrement instructive, que je ne voulais surtout pas laisser dans un placard au vu de son intérêt particulier, à la fois pour les fans de l’œuvre de Riyoko Ikeda et de son adaptation animée, qui aura marqué les générations partout dans le monde, comme pour les fans de doublage. Je vous dit au revoir, et à bientôt, je l’espère, pour de nouveaux dossiers sur l’animation japonaise et le doublage.

Un commentaire

  • Rukawa

    merci c’était assez intéressant.
    j’avais ouïe dire que la VF avait amélioré/corrigé les détails historiques, mais maintenant on sait que cela ne venait pas juste des traducteurs, ce soucis.

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